
La recherche scientifique a établi qu’une consommation élevée de folates (vitamine B9) était de nature à masquer, dans certains cas, l’apparition d’une carence en vitamine B12. Mais au-delà de l’effet délétère connu de ce type de carence, une question secondaire se pose : quel est l’impact d’un taux élevé de folates, combiné à un déficit de vitamine B12 ? Une récente étude d’observation s’est justement interrogée sur le lien qui pourrait exister entre carence en vitamine B12, excès de vitamine B9 et déclin cognitif.
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Une plausibilité biologique ?
Des raisonnements mécanistes suggèrent en effet qu’une telle association pourrait être défavorable aux performances cognitives futures d’un individu.
Ainsi, un taux élevé de folates pourrait masquer les premiers signes hématologiques de la carence en vitamine B12, qui précèdent eux-mêmes les signes neurologiques et qui aboutissent à une altération cognitive potentiellement grave.
On sait déjà que la seule carence en vitamine B12 peut avoir un impact sévère sur les fonctions neurologiques et cognitives.

Pour autant, la présence conjointe de cette carence avec un taux élevé de vitamine B9 a été très peu étudiée.
Une nouvelle étude d’observation américaine
Des chercheurs américains des universités de Californie, Boston, Purdue et Rutgers, ont donc décidé de s’atteler à la tâche et de récolter des données sur la question. Leur objectif était d’examiner les taux observés des vitamines B9 et B12 et la fonction cognitive.
Pour ce faire, ils ont utilisé un registre de données d’une enquête nationale sur la santé et la nutrition aux États-Unis : ils se sont concentrés sur celles concernant les personnes âgées de plus de 60 ans, qui avaient déclaré ne pas avoir consommé de compléments alimentaires dans les années précédentes. L’échantillon final compte 2 420 personnes.
Comment les chercheurs ont mesuré la carence en vitamine B12 et l’excès de vitamine B9 ?
Dans leur méthodologie, les scientifiques ont choisi des marqueurs précis pour juger de la carence ou de l’excès de vitamine.
- Pour les folates, c’est la quantité d’acide folique non métabolisé présent dans le sérum qui sert de biomarqueur (un excès est une mesure supérieure à 1 nanomol/litre), et la quantité de folates présents dans le sérum (un excès est défini comme une mesure supérieure à 74,1 nanomol/litre).
- Pour la vitamine B12, c’est le taux d’acide methylmalonique (un acide qui s’accumule en l’absence de vitamine B12, car il en a besoin pour se convertir en succinyl-Coa et poursuivre sa métabolisation) qui sert de biomarqueur (une carence est définie comme une mesure supérieure à 271 nanomol/litre), et le taux de vitamine B12 sérique (une carence est définie comme une mesure inférieure à 150 picomol/litre).
Les chercheurs ont calculé les risques relatifs via des tests cognitifs
À l’aide de modèles statistiques, les investigateurs ont calculé des risques relatifs en comparant deux échantillons :
- des personnes simplement carencées en vitamine B12 ;
- des personnes carencées en vitamine B12 et présentant un excès de folates.
L’évaluation du risque s’est faite en mesurant les scores obtenus lors de plusieurs tests cognitifs de référence :
- Le test de fluidité animale (FA), qui évalue la fluidité verbale en demandant aux participants de nommer autant d’animaux que possible en une minute. Le score total est égal au nombre d’animaux mentionnés ;
- Et le test de substitution de symboles numériques (SSN), qui est conçu pour mesurer la vitesse de traitement, l’attention soutenue et la mémoire de travail, en proposant aux participants un ensemble de symboles avec une clé correspondante. La note finale correspond au nombre total de symboles correctement dessinés en deux minutes.

Les résultats observés par rapport au déclin cognitif
Chez les personnes avec un faible taux de vitamine B12, un excès de folates était associé à un risque relatif d’altération cognitive supérieur de 5 à 347% pour le test SSN, et de 8 à 245% pour le test FA.

Il semble donc qu’un taux élevé de folates aggrave l’impact cognitif causé par une carence en vitamine B12 et/ou retarde la détection dudit impact, qui serait donc installé et déjà préoccupant.
Des résultats à confirmer par d’autres études
Néanmoins, ces résultats, comme tout résultat scientifique, sont limités car ils émanent d’une étude d’observation transversale (c’est-à-dire la « photo » d’une population à un moment bien précis).
Pas de suivi donc sur leurs habitudes alimentaires ou sur différents autres facteurs, mais uniquement des données rétrospectives déclaratives, potentiellement marquées par des biais.
Les auteurs conseillent d’ailleurs, pour les scientifiques qui conduiront les prochaines études sur le sujet, de se concentrer sur les facteurs génétiques qui pourraient aussi expliquer une partie de leurs résultats (comme la malabsorption causée par la déficience en une enzyme par exemple).
Qu’est-ce que ces résultats changent pour la pratique clinique ?
Pour l’instant, ce sont des données trop maigres pour conduire à des lignes directrices. Ce qu’on peut éventuellement conseiller aux professionnels de santé, c’est d’être d’autant plus vigilants concernant la carence en vitamine B12, chez des personnes qui ne consomment pas ou trop peu de produits animaux et/ou ne se supplémentent pas et mangent beaucoup d’aliments riches en folates (comme les légumes verts à feuilles tels que les épinards).
Le saviez-vous ?
En tout cas, pour des apports 100% physiologiques en vitamine B9 et B12, il y a toujours le nuPower ! 😉
Référence
Bailey et al. High folic acid or folate combined with low vitamin B-12 status: potential but inconsistent association with cognitive function in a nationally representative cross-sectional sample of US older adults participating in the NHANES. Am J Clin Nutr. 2020 Aug 29;nqaa239. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32860400/