
C’est un fait, nous ne respectons pas les recommandations relatives au temps de sommeil conseillé. Les restrictions de temps de sommeil ont déjà été associées, dans certaines études, à des marqueurs de santé divers. Parmi eux, l’altération de la cognition et des fonctions physiologiques, l’accroissement du risque de maladie cardiovasculaire, d’obésité ou encore de diabète de type 2.
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Pour contrer ces restrictions, la plupart d’entre nous dormons plus le week-end. Nous « rattrapons » notre retard de sommeil, comme le veut l’expression populaire. Mais en ce qui concerne l’impact sur la prise alimentaire, le sommeil ne se rattrape pas. L’influence des restrictions persiste, selon un petit essai randomisé sur la question.

Des résultats antérieurs homogènes
D’anciennes études ont déjà mis en évidence que la croyance populaire qui se lit dans la formule « rattraper son sommeil » est, dans la plupart des cas, une illusion.
C’est notamment le cas en ce qui concerne certaines variables comme la pression artérielle ou le taux de cortisol. De même ces restrictions ont une influence sur la faim, l’heure du dîner, la quantité de calories et de graisses ingérées au quotidien et la prise de poids.
Peu d’études d’intervention sont disponibles sur le sujet. Celle que nous analysons dans cet article suggère que la « récupération du sommeil » ne protège pas contre les restrictions chroniques de ce dernier, et de leurs conséquences sur la prise alimentaire.
Une nouvelle étude d’intervention
Forts de ces données, les auteurs de l’étude qui nous intéresse ont voulu conduire leur propre expérience. L’objectif ici était de déterminer s’il existait une différence entre une ou plusieurs nuits de récupération entre deux séries de nuits très courtes sur les paramètres de la prise alimentaire.
Leurs deux hypothèses principales sont les suivantes : 1. la seconde privation de sommeil entraînera une surconsommation calorique supérieure à la première, et 2. les individus qui auront moins de nuits récupératrices mangeront plus comparativement aux autres.
Qui sont les participants ?
Les personnes recrutées pour l’étude sont 55 adultes (45 seulement iront au bout de l’étude) âgés de 21 à 50 ans, en bonne santé. Ce sont des dormeurs « classiques », reportant 6,5 à 8,5 heures de sommeil habituellement, et qui ne souffrent pas de problèmes d’insomnies.
Le protocole expérimental
Une semaine avant le début de l’expérience, les participants ont dû respecter un sevrage strict concernant la caféine, l’alcool, le tabac et les médicaments (hormis les contraceptifs). Des mesures biologiques ont été effectuées pour vérifier que tout le monde avait bien joué le jeu.
Avant et après l’expérience, au sein du Laboratoire de sommeil et de chronobiologie à l’hôpital de l’Université de Pennsylvanie, le sommeil des patients a été surveillé. Lors de l’expérience, ils ont été répartis en différents groupes :
- Le groupe contrôle, qui ne subira aucune restriction de sommeil ni de récupération, et qui dormira donc comme d’habitude ;
- Le groupe REC 1 qui subira dix nuits de restrictions de sommeil entrecoupées par une nuit de récupération ;
- Le groupe REC 3 qui subira dix nuits de restrictions de sommeil entrecoupées par 3 nuits de récupération ;
- Le groupe REC 5 qui subira dix nuits de restrictions de sommeil entrecoupées par 5 nuits de récupération.
Les restrictions de sommeil se définissent par 4 heures passées au lit par nuit, contre 12 heures pour les nuits de récupération. Avant de commencer l’expérience, les participants ont tous eu droit à deux nuits où il pouvait passer 10 heures au lit.
Les résultats de l’expérience
Restriction de sommeil = plus de calories, plus de graisses et moins de protéines
Cette expérience vient confirmer les connaissances acquises des précédentes études : à savoir qu’une restriction de sommeil se traduit par une augmentation de l’apport calorique basal (+ 527 kcal en moyenne) et une légère modification de l’apport en macronutriments, notamment plus de graisses (+ 7 g en moyenne) et moins de protéines (- 1,2% kcal en moyenne).

Peu importe le nombre de nuits de récupération
Ce qu’elle met en exergue également, et c’est la première à notre connaissance à le faire, c’est que peu importe les occasions que l’on a de « récupérer son sommeil », cela ne protège pas contre des expositions multiples à des semaines de restrictions de sommeil. En effet, aucune différence significative n’est décelable entre les participants des groupes « restrictions », peu importe le nombre de nuit de récupération dont ils ont bénéficié, ce qui ne confirme pas les hypothèses préalables des scientifiques.
Vers une prise de poids ?
Il est également intéressant de noter que le poids, variable mesurée en début d’étude, n’apparaît pas dans les résultats. Une hypothèse possible est qu’aucune différence significative n’a été décelée.
Néanmoins, dans une perspective purement mécaniste, si les effets observés persistent sur le long terme, une augmentation de la balance calorique conduira inéluctablement à une prise de poids. Sauf si le fait d’être privé de sommeil, autrement dit de rester éveillé, engendre une majoration de la dépense énergétique dans le même temps, auquel cas le fait de manger plus serait une adaptation plutôt qu’un effet néfaste, en tout cas à court terme.
Tout d’abord, les conclusions de cette étude sont forcément limitées compte tenu de l’échantillon très faible de participants. Aussi, le design de l’étude n’est pas adapté pour tirer des conclusions fermes, et le travail doit plutôt être considéré comme exploratoire.
Par ailleurs, le profil des participants était restreint (entre 21 et 50 ans, en bonne santé, avec un indice de masse corporel normal ou en surpoids, habituels bons dormeurs avec +/- 8h de sommeil par nuit). De fait, il serait difficile d’extrapoler les résultats pour des individus au profil différent (adolescents, personnes âgées, IMC indiquant une obésité, petits ou longs dormeurs).
Néanmoins, son caractère interventionnel fait sa force, de même que d’autres résultats similaires obtenus chez l’humain ou chez l’animal, qui permettent quant à eux d’avoir une explication métabolique et comportementale plus précise. L’organisme ne semble vraiment pas adapté à subir une accumulation de restrictions de sommeil.
Cela permet au moins de donner, sur la base de résultats expérimentaux, un conseil de bon sens : pour votre santé, et pour ne pas risquer de trop manger, évitez d’accumuler des restrictions de sommeil, même si vous avez la possibilité de mieux dormir le week-end ou la semaine suivante.
Dans une dimension plus tournée vers la santé publique et l’environnement psycho-social, il serait sans doute bon de réfléchir à construire des règles du jeu qui permettraient à tout un chacun d’éviter ce type de situation, quelles que soient leurs contraintes.
Référence
Spaeth AM, Goel N, Dinges DF. Caloric and Macronutrient Intake and Meal Timing Responses to Repeated Sleep Restriction Exposures Separated by Varying Intervening Recovery Nights in Healthy Adults. Nutrients. 2020