La charcuterie est-elle cancérigène ? -> L’analyse du rapport de l’OMS

viande3

Après avoir analysé en préambule la méthodologie utilisée par le Groupe de Travail de l’IARC, cette 1ère partie détaille l’argumentaire qui a permis d’arriver aux conclusions du rapport concernant le lien entre cancer et consommation de charcuterie et viande transformée.


La conclusion du rapport de l’IARC sur la charcuterie

Nous allons d’abord examiner la partie du pré-rapport qui est consacrée à la charcuterie et aux viandes transformées, et débuter avec la conclusion émise par le Groupe de Travail :

Globalement, le groupe de travail a classé la consommation de viande transformée comme « cancérigène pour l'homme » (Groupe 1) en s'appuyant sur des preuves suffisantes concernant le cancer colorectal.
De plus, une association positive a été trouvé entre la consommation de viande transformée et le cancer de l'estomac.

L’analyse de l’argumentaire émis par l’IARC

Maintenant que nous avons cette conclusion en tête, déroulons l’argumentaire qui a permis au Groupe de Travail d’étayer sa communication sur la charcuterie et les viandes transformées.

Définition de la charcuterie ou viande transformée

La viande transformée est obtenue par salage simple, addition de nitrate ou nitrite de sodium, fermentation, fumage ainsi que d'autres techniques permettant d'améliorer la saveur ou la conservation.

La définition donnée par l’IARC est claire. On constate cependant qu’il n’est pas fait de distinction entre les agents traditionnels de transformation (sel, nitrate, fumée) et d’autres types d’additifs plus récents, probablement parce que cela n’est pas possible dans les études disponibles.

La consommation moyenne de viande transformée est (…) difficile à évaluer.

Cela peut indiquer une absence de données ou une consommation irrégulière de charcuterie et de viandes transformées, qui n’apparaît pas forcément au moment de l’administration des questionnaires.

Une relation dose-dépendante

L'association entre cancer colorectal et viande transformée a été examinée par 18 études de cohorte. 12 d'entre elles ont montré une association positive par comparaison entre les niveaux bas et haut de consommation. Parmi les 9 études cas-témoins complémentaires retenues, 6 ont montré une association positive par comparaison entre les niveaux bas et haut de consommation.

Deux tiers des études d’observation et des études cas-témoins ont donc montré une association positive entre cancer colorectal et viande transformée, “par comparaison entre les niveaux bas et haut de consommation”. Autrement dit, cette association apparaît lorsque la consommation augmente, ce qui est confirmé par la phrase suivante :

Une méta-analyse de 10 études de cohorte a mis en évidence une relation dose-dépendante significative avec une augmentation du risque (…) de 18% par 50 g et par jour pour la viande transformée.

Le mot “risque” utilisé à mauvais escient

À ce stade, il convient de préciser un certain nombre de points. Nous avons indiqué en préambule que l’épidémiologie met en évidence des associations. Or le mot “risque” utilisé ici a un sens statistique, on pourrait le remplacer par “force de l’association ».

Malheureusement, le communiqué de presse de l’IARC ne précise pas ce petit “détail”, et il est évidemment tentant pour la presse de le reprendre tel quel.

Donc la force de l’association augmente de 18%. Dit autrement, elle est multipliée par 1,18. Toujours dans le préambule, nous avons souligné que l’épidémiologie avait contribué à mettre en évidence le lien entre tabac et cancer du poumon. Dans ce cas, la force de l’association est multipliée par 25. Quand on met les deux chiffres en rapport, on constate à quel point l’augmentation du “risque” associé à la charcuterie et aux viandes transformées est insignifiante, a fortiori lorsqu’on considère le degré d’incertitude lié à l’épidémiologie (facteurs de confusion, validité des questionnaires).

SaucissonDe plus, cette augmentation de 18% survient chaque fois qu’on augmente la dose de 50 g dans la consommation quotidienne. Par exemple, c’est ce qui se produit si on consommait jusqu’à présent 0 g de charcuterie et qu’on se met à manger 5 tranches de saucisson tous les jours de l’année pendant plusieurs années. Mais que se passe-t-il si on ne mange du saucisson ou de la charcuterie qu’un jour sur deux ? Ou un jour sur trois ? Le risque redescend-il à 0 les jours sans ? Ou se stabilise-t-il à 9% ou 6% ?

Et pour ajouter à la confusion…

Ce qui contribue encore plus à la confusion, c’est de n’avoir communiqué que sur la variation du risque quand on augmente sa consommation de charcuterie. Cette variation n’a pas de sens si on ne connaît pas les risques associés aux différents niveaux de consommation. En effet, si le risque est faible lorsqu’on ne mange que 50 g de charcuterie par jour, le fait de passer à 100 g peut effectivement se traduire par une augmentation de 18%, sans que cela transforme le risque faible en risque fort.

Pour aller encore un peu plus loin, la présentation du taux de variation du risque donne à penser que ce risque (ou plutôt force de l’association) augmente de manière linéaire chaque fois que la consommation de charcuterie augmente de 50 g.

Or en physiologie, on a plus souvent à faire à des phénomènes non-linéaires, avec des plages de valeurs pour lesquelles la consommation d’un produit est inoffensive ou bénéfique, puis des effets de seuil, où une carence ou un excès deviennent nocifs. Cela est vrai par exemple de l’eau, dont l’intervalle de consommation possible est assez vaste, entre déshydratation et hyponatrémie (voir également à ce sujet notre récent article sur la vitamine D).

Bien sûr, ce n’est pas systématique. Pour les poisons violents, l’effet de seuil démarre dès l’absorption de doses minimales.
Pour en avoir le cœur net, il faudrait donc avoir accès aux risques associés à chaque niveau de consommation de charcuterie, mais cette information n’est pas disponible dans le pré-rapport de l’IARC.

Une association faible et une causalité difficile à établir

Les données disponibles pour 15 autres types de cancer montrent également des associations positives entre (…) la viande transformée et le cancer de l'estomac.

Ici, le terme d’association est utilisé à bon escient. Mais si on retourne la phrase dans l’autre sens, cela semble indiquer que sur 15 autres types de cancer évalués, 14 n’apparaissent pas associés à la consommation de viande transformée.

Les preuves mécanistiques sont essentiellement disponibles pour le tube digestif. Une méta-analyse de 2013 a montré une association modeste mais significative entre la consommation de viande (…) transformée et la présence d'adénomes colorectaux.

On retrouve de nouveau une association modeste en épidémiologie, donc une causalité difficile à établir. Les données disponibles dans la méta-analyse citée par l’IARC ne sont pas très claires2, mais il semble que l’association cesse d’être significative lorsqu’on contrôle les facteurs de confusion suivant : alcool, tabac, surpoids, activité physique, utilisation d’AINS, produits laitiers, fibres, apports caloriques.

Chez les humains, des études d'observation ont indiqué une association faible mais significative avec des mutations du gène codant pour l'APC (une protéine régulant la croissance des colonocytes) et la méthylation (activation) de promoteurs de mutation.

Ici également, l’association est faible. De plus, le pré-rapport oublie de préciser que dans cette étude3, la consommation d’alcool est également associée aux mutations identifiées. Par ailleurs, une autre étude4 portant sur la même cohorte (EPIC Norfolk) a identifié une association entre consommation de viande blanche et mutation du gène codant pour la protéine K-ras, une autre protéine contrôlant la prolifération cellulaire.

En s'appuyant sur les données disponibles et la persistance de l'association entre cancer colorectal et viande transformée d'une étude à l'autre, le Groupe de Travail a considéré qu'il était peu probable que le hasard, les biais et les facteurs de confusion puissent expliquer ce résultat.

Cette phrase semble indiquer que le Groupe de Travail dispose d’éléments solides pour appuyer les résultats apportés par l’épidémiologie. Par exemple, ces éléments solides pourraient être amenés par l’expérimentation animale, des études in vitro, voire même des essais randomisés chez des humains portant sur des critères de substitution (c’est-à-dire des marqueurs biologiques indicateurs d’un effet cancérigène).

Des “preuves insuffisantes” fournies par l’expérimentation animale

Examinons donc les arguments présentés par le Groupe de Travail :

L'expérimentation animale fournit quant à elle des preuves insuffisantes en matière de carcinogénicité (…) de la viande transformée. Chez des rats traités par initiateur de cancer colique et avec des apports réduits en calcium, (…) 4 études ont reporté une augmentation des lésions prénéoplasiques après administration de viande transformée. La consommation de viande (…) transformée augmente les produits d'oxydation des lipides dans les fèces des rongeurs.

De l’aveu même du Groupe de Travail, les éléments fournis par l’expérimentation animale sont insuffisants. Il faut traiter les rongeurs avec des initiateurs de cancer et les carencer en calcium pour obtenir une augmentation des lésions pré-cancéreuses après consommation de viande transformée (mais pas de cancer déclaré apparemment). Les produits d’oxydation des lipides sont également augmenté dans leurs déjections (mais est-ce que cela s’accompagne d’une augmentation de la carcinogénicité ?).

Quelle pertinence pour la santé humaine ?…

Par ailleurs, le pré-rapport ne donne aucune idée des doses utilisées. Cela a pourtant son importance car dans les études de type mécanistique, il est fréquent d’utiliser des doses élevées. Ces doses permettent de mettre en évidence un mécanisme (c’est le but recherché), mais sont parfois sans commune mesure avec une consommation alimentaire réelle. Par exemple, dans l’une des références citées par le pré-rapport de l’IARC5, les rats ont reçu du boudin noir tous les jours pendant 100 jours (avec un traitement par azoxyméthane pour induire les lésions cancéreuses et un régime carencé en calcium).

On peut donc s’interroger sur la pertinence d’utiliser ce type de résultat pour formuler des recommandations en santé humaine, à destination d’individus qui ne mangent pas du boudin à tous les repas pendant plus de trois mois, qui ne sont pas empoisonnés à l’azoxyméthane, et dont les apports en calcium sont suffisants.

La formation de résidus chimiques carcinogènes

La transformation de la viande peut aboutir à la formation de résidus chimiques carcinogènes tels que les dérivés N-nitrosés et les hydrocarbures polycycliques aromatiques (HPA).
Dans 3 études d'intervention menées sur des humains, la consommation de viande (…) transformée est associée à des changements de marqueurs de stress oxydatifs que ce soit dans les urines, les fèces ou le sang. La consommation de viande (…) transformée provoque la formation de dérivés N-nitrosés dans le colon chez les humains.

Là encore, il apparaît irréfutable que la transformation de la viande puisse aboutir à la formation de ces composés chimiques. Mais la question suivante est : ces composés sont-ils susceptibles, dans le cadre d’une alimentation normale, d’induire la formation de tumeurs cancéreuses ?

1. Les dérivés N-nitrosés

Par exemple, les dérivés N-nitrosés sont présents en faible quantité dans la charcuterie traditionnelle, à hauteur d’environ 5 µg (microgrammes) par kg6. Ainsi, une consommation de 50 g (environ 5 tranches de saucisson) apporterait 0,25 µg de dérivés N-nitrosés.

Chez nos amis rongeurs, des essais ont montré que les dérivés N-nitrosés ne déclenchaient pas la promotion de lésions prénéoplasiques (malgré l’induction par azoxyméthane). Les rats qui étaient nourris au bacon enregistraient même une diminution du nombre de lésions7.

Chez les humains, l’étude citée dans le pré-rapport de l’IARC8 montre effectivement une augmentation de la quantité de dérivés N-nitrosés dans les selles de volontaires ayant consommé quotidiennement 180 g de viande transformée pendant 4 jours : cette quantité passe de 50 nmol/L (nanomoles par litre) à 60 nmol/L.

Premier constat, les individus n’ayant pas consommé de charcuterie ou de viande transformée produisent naturellement des dérivés N-nitrosés à hauteur de 50 nmol/L, probablement en raison du métabolisme des nitrate et nitrites salivaires (nous produisons en effet des nitrates et des nitrites en permanence par la salive).

La question qui survient en corollaire est de savoir si une augmentation de 10 nmol/L par rapport à notre production endogène est susceptible d’induire des tumeurs ? Pour l’instant, la réponse n’apparaît pas tranchée.
De manière générale, il faut souligner que l’impact des nitrates et nitrites sur la santé humaine est probablement très mal évalué, mais le sujet est trop vaste pour être traité ici. Nous espérons pouvoir y consacrer prochainement un article dédié.

 

2. Les HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques)

Concernant les HAP, le pré-rapport indique que :

La viande fumée (…) contient des HAP. Ces molécules abîment l'ADN, mais il existe peu de preuves directes indiquant que cela se produit lors de la consommation de la viande.

Il semble que ces molécules soient surtout toxiques par inhalation. Il est probable qu’on en ingère de faibles quantités lorsqu’on mange des produits grillés ou fumés, mais leur devenir dans le tube digestif est apparemment peu connu.

Au final, une recommandation basée sur des preuves “modestes” ou “faibles”

Au total, le pré-rapport de l’IARC aboutit aux deux constatations suivantes :

Peu de données sont disponibles pour la viande transformée.
Les preuves « mécanistiques » ont été évaluées comme (…) modérées pour la viande transformée.

Donc la décision, présentée en introduction, de classer la charcuterie et la viande transformée comme “cancérigène pour l’homme” (Groupe 1), aux cotés de l’amiante et du tabac, s’appuie d’une part sur des associations épidémiologiques régulières et significatives, mais étiquetées comme “modestes” ou “faibles” par le Groupe de Travail, et sur des preuves “mécanistiques” modérées.

Au terme de cette analyse, il n’est évidemment pas question de suggérer que le risque est nul.

Ce que les études “mécanistiques” menées sur les rongeurs et les humains semblent indiquer, c’est que le lien entre cancer colorectal et viande transformée dépend du contexte.

En présence d’un initiateur cancérigène et d’une alimentation carencée en calcium et en vitamine E, la consommation de charcuterie et viande transformée pourrait modifier certains marqueurs associés au risque de cancer colorectal. Ce type de contexte peut exister chez des individus qui sont exposés à des cancérogènes connus (tabac, alcool), et dont l’alimentation est peu équilibrée.

Peut-être aurait-il donc été plus judicieux d’indiquer que : les styles de vie incluant habituellement une consommation régulière de charcuterie et de viande transformée sont associés à une augmentation du risque de cancer colorectal.

On peut en effet raisonnablement penser qu’un individu qui boit, fume, est en surpoids, n’a pas d’activité physique, mange peu de fruits et légumes mais beaucoup de frites et de barres chocolatées pour accompagner des plats tout prêts à base de charcuterie et de viande transformée, aura plus de risque de développer un cancer colorectal que son voisin qui ne boit pas (ou peu), ne fume pas, n’est pas en surpoids, fait du sport régulièrement, a une alimentation équilibrée, passe du temps en cuisine et s’accorde occasionnellement quelques tranches de saucisse sèche d’Auvergne ou de jambon de Bayonne, accompagnées d’une belle salade assaisonnée d’huile d’olive.

Dans un prochain article, nous examinerons le volet “viande rouge” du rapport de l’IARC.

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Références

  1. Bouvard V et al. Carcinogenicity of consumption of red and processed meat. Lancet Oncol. 2015 Oct 23. pii: S1470-2045(15)00444-1. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26514947
  2. Aune D et al. Red and processed meat intake and risk of colorectal adenomas: a systematic review and meta-analysis of epidemiological studies. Cancer Causes Control. 2013 Apr;24(4):611-27. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23380943
  3. Gay LJ et al. Dietary, lifestyle and clinicopathological factors associated with APC mutations and promoter methylation in colorectal cancers from the EPIC-Norfolk study. J Pathol. 2012 Nov;228(3):405-15. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22864938
  4. Naguib A et al. Dietary, lifestyle and clinicopathological factors associated with BRAF and K-ras mutations arising in distinct subsets of colorectal cancers in the EPIC Norfolk study. BMC Cancer. 2010 Mar 16;10:99. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20233436
  5. Pierre F et al. Beef meat and blood sausage promote the formation of azoxymethane-induced mucin-depleted foci and aberrant crypt foci in rat colons. J Nutr. 2004 Oct;134(10):2711-6. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15465771
  6. De Mey E et al. The occurrence of N-nitrosamines, residual nitrite and biogenic amines in commercial dry fermented sausages and evaluation of their occasional relation. Meat Sci. 2014 Feb;96(2 Pt A):821-8. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24200576
  7. Parnaud G et al. Endogenous N-nitroso compounds, and their precursors, present in bacon, do not initiate or promote aberrant crypt foci in the colon of rats. Nutr Cancer. 2000;38(1):74-80. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11341048
  8. Pierre FH et al. Calcium and a-tocopherol suppress cured-meat promotion of chemically induced colon carcinogenesis in rats and reduce associated biomarkers in human volunteers. Am J Clin Nutr. 2013 Nov;98(5):1255-62. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24025632

Laurent Buhler

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Laurent est notre diététicien-nutritionniste attitré. En plus de poursuivre un travail de recherche permanent, sa grande force et particularité résident dans le fait qu'il est détenteur d'un DU de Lecture d'Essais Cliniques : autrement dit, son job, c'est justement de déchiffrer ce que les études racontent vraiment !Nous nous appuyons donc logiquement sur son expertise dans une démarche d'intégrité et de rigueur scientifique.



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