
Qu’est-ce que le gluten ? Faut-il l’éviter ? Comment ? Un article complet de notre diététicien-nutritionniste, Laurent Buhler.
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“Sans Gluten” : cette mention qui était jusqu’à récemment réservée à des produits spécifiques de régime, est en train de devenir un argument marketing. Elle apparaît de plus en plus fréquemment dans les rayons de la grande distribution. Elle figure également sur la couverture de nombreux livres de recettes, et l’on voit même fleurir des restaurants et des pâtisseries estampillés sans gluten1, 2.
D’où vient cet engouement soudain ? S’agit-il d’une mode ou d’un bouleversement profond qui correspondrait à une réalité pathologique ? Ne risque-t-on pas de générer des carences en adoptant cette approche alimentaire ?
Pour tenter de répondre à toutes ces questions, nous allons d’abord essayer de mieux comprendre la nature du gluten et son rôle dans l’alimentation. Nous examinerons ensuite les différentes pathologies qui y sont associées, avant d’évaluer les éventuelles conséquences liées à l’adoption d’un mode de vie sans gluten.
Le gluten, qu’est-ce que c’est ?
C’est un composé protéique que l’on retrouve dans les grains issus de céréales comme le blé, le seigle, l’orge et l’avoine. À ce titre, pratiquement tous les produits issus de ces céréales contiennent du gluten : pain, pâtes, pizza, gâteaux, biscuits, flocons, muesli, boulghour, etc.
Si l’on prend l’exemple du blé, on peut schématiquement considérer qu’un grain est composé de trois parties :
- L’écorce, qui joue un rôle protecteur ;
- Le germe, qui abrite l’embryon susceptible de donner une nouvelle plante ;
- L’albumen (ou amande), qui sert de réserve protéino-énergétique. C’est dans cette réserve que l’on trouve le gluten (protéines), associé à l’amidon (glucides complexes).
Pour extraire la farine des grains de blé, on va éliminer le germe et tout ou partie de l’écorce, de manière à procéder au raffinage de l’albumen.
Laissons pour le moment l’amidon de côté, et portons notre attention sur le gluten. Il s’agit en fait de l’association de deux familles de protéines : les prolamines et les glutélines. C’est d’ailleurs grâce à cette association que le gluten va conférer des propriétés d’extensibilité et d’élasticité aux farines panifiables, lors de l’élaboration de la pâte. L’équilibre entre ces deux propriétés permettra au pain d’avoir une mie bien aérée tout en conservant sa forme.
Avant d’examiner les différents degrés d’intolérance ou de sensibilité au gluten, considérons d’abord le cas particulier de l’allergie au blé.
L’allergie au blé
Lors des réactions mettant en jeu le système immunitaire, comme c’est le cas avec les allergies, l’organisme utilise plusieurs systèmes de défense. Un de ces systèmes consiste à utiliser des “marqueurs” (anticorps) permettant d’identifier les éléments considérés comme n’appartenant pas à notre corps (antigènes).
Or dans le cas de l’allergie au blé, la classe d’anticorps qui intervient (IgE) est différente de celles qu’on retrouve dans l’intolérance au gluten (IgA, IgG).
De fait, les signes de l’allergie au blé apparaissent de manière beaucoup plus rapide que ceux de l’intolérance au gluten. Ils se manifestent ainsi par des symptômes caractéristiques de nombreuses allergies alimentaires :
- Eruptions cutanées ;
- Démangeaisons ;
- Oedèmes des yeux, des lèvres, de la langue, de la gorge (Œdème de Quincke) ;
- Hypotension ;
- Troubles digestifs ;
- Et dans les cas les plus graves : choc anaphylactique3.
Ajoutons également que dans le cas de l’allergie au blé, les symptômes ne sont pas uniquement provoqués par l’ingestion alimentaire, mais peuvent être déclenchés par une simple inhalation. La farine est d’ailleurs une des principales causes de l’asthme professionnel, en particulier chez les boulangers4.
En revanche, on constate que les allergènes qui déclenchent l’allergie au blé sont en partie issus de la gliadine (prolamine du blé), c’est-à-dire de la même origine protéique que dans le cas de l’intolérance au gluten5.
L’intolérance au gluten (ou maladie cœliaque)
Facteurs déclenchants
Le ou les facteurs déclenchants de l’intolérance au gluten sont encore aujourd’hui mal connus. Il existe très probablement une sensibilité génétique à cette pathologie6, mais il est possible que d’autres facteurs interviennent également.
Le point de départ de la maladie serait la capacité d’une fraction peptidique de la gliadine (prolamine du blé) à augmenter la perméabilité intestinale, en créant des disjonctions entre les cellules qui bordent le tube digestif7. Une fois ces “brèches” établies, d’autres fractions protéiques de la gliadine seraient alors en mesure de traverser la muqueuse intestinale, et d’entrer dans la circulation sanguine pour déclencher une réaction immunitaire.
À la différence de l’allergie au blé que nous venons de voir plus haut, la réaction immunitaire qui intervient dans le cadre de l’intolérance au gluten se traduit par une érosion progressive des cellules “en forme de gants” (entérocytes) tapissant notre tube digestif.
Les “doigts” (villosités) de ces cellules, qui servent normalement à capter les nutriments, s’atrophient peu à peu.
Symptômes
Petit à petit, des carences s’installent, provoquant l’apparition des symptômes de la maladie :
- Diarrhées
- Anémie ferriprive
- Ballonnements, douleurs abdominales
- Fatigue
- Perte de poids
- Aphtes
- Douleurs articulaires
Diagnostic
En regard de ces symptômes, le diagnostic de la maladie est posé en plusieurs étapes :
- On recherche d’abord certains anticorps significatifs de la réaction immunitaire (anti-endomysium, anti-transglutaminase).
- Si ceux-ci sont présents, on procède à une biopsie intestinale, afin d’examiner l’aspect des entérocytes et de confirmer l’atrophie des villosités.
- Enfin, des tests d’éviction / provocation peuvent être réalisés, pour observer l’évolution des symptômes.
- Une fois la maladie objectivée, le seul traitement efficace pour l’instant est le recours à une alimentation sans gluten.
La reconnaissance médicale de l’intolérance au gluten permet au patient de se faire rembourser par la Sécurité Sociale (à 60%), les produits étiquetés “sans gluten” nécessaires à son alimentation.

Après avoir examiné les principales pathologies liées au blé et au gluten, nous allons maintenant aborder des territoires plus “incertains”…
La sensibilité au gluten
Dans la sensibilité au gluten, on retrouve une grande partie des symptômes de l’intolérance au gluten, mais pas les marqueurs génétiques ou immunitaires qui y sont normalement associés. Il devient donc plus difficile d’établir une définition claire de la pathologie.
Selon certains travaux, la sensibilité au gluten serait déclenchée par une réaction de l’immunité innée, sans altération de la muqueuse intestinale, contrairement à ce qui est constaté dans le cas de l’intolérance8. D’autres recherches menées sur des patients présentant un terrain allergique détectent quant à elles une altération de la muqueuse, mais avec une origine génétique différente de celle de l’intolérance9.
On peut également intégrer dans ce cadre les pathologies de la famille des MICI (Maladies Inflammatoires Chroniques de l’Intestin) : Maladie de Crohn et Recto-Colite Hémorragique. Ces pathologies présentent des caractères étiologiques comparables à ceux de l’intolérance au gluten10, 11, 12.
Enfin, certains éléments donnent à penser que la sensibilité au gluten pourrait avoir des répercussions à distance de l’appareil digestif, comme dans le cas de l’ataxie au gluten par exemple13.
Et après ?
Au delà de la sensibilité au gluten, dont le cadre reste encore à établir, on soupçonne le gluten d’avoir des liens avec de nombreuses autres pathologies.
La recherche de ces liens a par exemple fait l’objet des travaux du Dr Jean Seignalet en France14, ou plus récemment du cardiologue William Davis aux États-Unis15.
Pour intéressants que soient ces travaux, ils ne permettent cependant pas de conclure à la réalité de ces liens sur le plan scientifique. L’exploration d’un éventuel rôle pathologique du gluten nécessite donc encore un gros effort de recherche, qui sort du cadre de cet article de présentation.
Vivre sans gluten, y-a-t-il des risques ?
Pour les allergiques et les intolérants, la question ne se pose pas puisque le seul traitement efficace consiste à éliminer le gluten de leur alimentation.
Mais en l’absence de diagnostic établi, prend-on des risques à manger sans gluten ?
Les aliments qui contiennent du gluten n’apportent aucun nutriment indispensable, qu’on ne puisse trouver ailleurs…
Si l’on se place dans le cadre de la théorie de l’évolution, on constate que le génome humain s’est développé sur la base d’une alimentation sans gluten pendant des millions d’années. L’introduction des céréales à gluten est récente (entre – 30 000 et – 10 000 ans), il n’est donc pas surprenant que certains individus n’y soient pas adaptés.
De plus, les techniques de cultures utilisées pour améliorer les rendements agricoles et les caractéristiques des farines (sélection, croisements) ont abouti à une augmentation du nombre de chromosomes de ces céréales. Les produits que nous retrouvons aujourd’hui en boulangerie ou dans les rayons des grandes surfaces sont donc, à l’échelle de l’évolution, totalement nouveaux pour nos organismes.
Concrètement, il est donc tout à fait possible de faire l’essai du “sans gluten”, et d’observer si l’on en retire des résultats positifs. En gardant néanmoins en tête que ceux-ci ne sont pas toujours flagrants : il faut parfois attendre une tentative de réintroduction du gluten après plusieurs semaines d’arrêt, pour prendre pleinement conscience du bénéfice obtenu.
Pour autant, adopter ce type d’alimentation n’est pas toujours facile. Il faut être vigilant à la lecture des étiquettes, car en plus des produits à base de farine de blé, d’orge ou de seigle, le gluten est présent dans de nombreux produits comme agent de texture ou de sapidité (charcuteries, surimi, petits pois en conserve, desserts, sauces, etc.).
On voit donc que le terme “d’intolérance au gluten” peut recouvrir une large palette de pathologies plus ou moins bien établies :
- Lorsqu’on considère l’allergie au blé, la maladie cœliaque, et probablement les MICI, les risques associés à la consommation de blé et/ou de gluten sont bien réels et réclament une éviction totale.
- En revanche, pour ce qui est de la “sensibilité au gluten », les contours sont moins nets. De nombreux travaux de recherche sont encore nécessaires pour mettre en évidence des liens éventuels entre consommation de gluten et diverses maladies. Mais certaines pistes existent déjà et nous les explorerons prochainement.
Notons au passage que les problèmes liés au gluten concernent vraisemblablement une population assez importante. La prévalence (i.e. fréquence d’apparition) de l’intolérance au gluten est estimée à environ 0,5 à 1 personne sur 100 en Europe16. À l’échelle de la France, cela représente à peu près 325 000 à 650 000 patients potentiels, rien que pour l’intolérance stricte. Si l’on inclut la sensibilité et les liens existant avec d’autres pathologies, on est probablement au-delà du million…
Quoi qu’il en soit, si l’on a des doutes quant à l’impact du gluten sur sa santé, il n’y a aucun risque à faire l’essai du régime sans gluten, dans la mesure où on est prêt à en accepter les contraintes. Les sources d’aliments équivalents sans gluten sont nombreuses : riz, polenta, galette de sarrasin, pomme de terre, patate douce, banane plantain, etc.
Enfin, il arrive que dans certains cas critiques, l’adoption d’un régime sans gluten ne parvienne pas à induire une amélioration des symptômes. Pour ces cas particuliers, certains chercheurs conseillent le recours à un “régime à glucides spécifiques », connus sous le nom de FODMAP.
Dans nos produits en tout cas, il n’y a pas de gluten !
On n’écrit pas nos articles dans le but de vous vendre des produits, mais tellement de lecteurs passent à côté qu’on a décidé de les mettre davantage en avant, pour ceux que ça intéresse. Et puis, on ne peut quand même pas nous reprocher de proposer des produits au top ! 😉
Références
- www.sortirsansgluten.com
- www.helmutnewcake.com
- Pourpak Z et al. Wheat allergy: clinical and laboratory findings. Int Arch Allergy Immunol. 2004 Feb;133(2):168-73. Epub 2004 Feb 5.
- Constantin C et al. Molecular and immunological characterization of a wheat serine proteinase inhibitor as a novel allergen in baker’s asthma. J Immunol. 2008 Jun 1;180(11):7451-60.
- Daengsuwan K et al. IgE antibodies to omega-5 gliadin in children with wheat-induced anaphylaxis. Allergy. 2005 Apr;60(4):506-9.
- Jores RD et al. HLA-DQB1*0201 homozygosis predisposes to severe intestinal damage in celiac disease. Scand J Gastroenterol. 2007 Jan;42(1):48-53.
- Lammers KM et al. Gliadin induces an increase in intestinal permeability and zonulin release by binding to the chemokine receptor CXCR3. Gastroenterology. 2008 Jul;135(1):194-204.e3. Epub 2008 Mar 21.
- Sapone A et al. Divergence of gut permeability and mucosal immune gene expression in two gluten-associated conditions: celiac disease and gluten sensitivity. BMC Medicine 2011, 9:23 doi:10.1186/1741-7015-9-23.
- Massari S et al. Occurrence of nonceliac gluten sensitivity in patients with allergic disease. Int Arch Allergy Immunol. 2011;155(4):389-94. Epub 2011 Feb 22.
- Tursi A et al. High prevalence of celiac disease among patients affected by Crohn’s disease. Inflamm Bowel Dis. 2005 Jul;11(7):662-6.
- Brown AC. Does evidence exist to include dietary therapy in the treatment of Crohn’s disease? Expert Rev Gastroenterol Hepatol. 2010 Apr;4(2):191-215.
- Festen EA et al. Inflammatory bowel disease and celiac disease: overlaps in the pathology and genetics, and their potential drug targets. Endocr Metab Immune Disord Drug Targets. 2009 Jun;9(2):199-218.
- Anheim M et al. Ataxia associated with gluten sensitivity, myth or reality? Rev Neurol (Paris). 2006 Feb;162(2):214-21.
- Seignalet J. L’alimentation ou la troisième médecine. Collection Écologie Humaine François-Xavier de Guibert 2004.
- Davis W. Wheat belly. Rodale 2011.
- Van Heel DA et al. Recent advances in coeliac disease. Gut. 2006 Jul;55(7):1037-46.